Periscope en salle de classe : quand les ados se filment en plein cours
Collégiens et lycéens sont de plus en plus nombreux à utiliser cette application qui permet de diffuser des vidéos en direct sur internet. Y compris lorsqu'ils sont dans leur salle de classe.
"On se fait chier en cours", "En cours jmennuie venez", "VENEZ PARLER JLGR [je galère] EN COURS", "En cours rien a faire venez parler"... Sur Periscope, une application pour smartphone qui permet de se filmer en direct et de diffuser la vidéo sur les réseaux sociaux, ces invitations sont désormais légion. Depuis qu'elle a été popularisée en France par "l'affaire Serge Aurier" en février, Periscope fait un tabac auprès des collégiens et des lycéens. A tel point que certains n'hésitent plus à se filmer en plein cours.
Le téléphone caché dans la trousse, un saucisson sec sur la table
Dans le cadre, des stylos et une fermeture éclair trahissent bien souvent un téléphone caché dans la trousse pour ne pas éveiller l'attention du professeur. Les adolescents, eux, doivent se pencher pour que l'on voie leur visage.
Que font ces jeunes lorsqu'ils sont en direct sur Periscope, alors qu'ils devraient Ă©couter ce que leur professeur est en train de dire au tableau ? Tout et n'importe quoi. Sur cette vidĂ©o tournĂ©e par des Ă©lèves de terminale durant un cours de philosophie dans un lycĂ©e d'Eure-et-Loir, un petit groupe dĂ©coupe et mange un saucisson sec au fond de la salle de cours, pendant que l'enseignant rĂ©pond aux questions de certains Ă©lèves. "Franchement les gars, un petit Ricard lĂ ...!", s'amuse celui qui dĂ©coupe les tranches, un Opinel Ă la main.Â
"Montre tes seins", "cachez-vous tous sous la table"
Mais ce que cherchent avant tout les "Periscopeurs", c'est l'interaction avec ceux qui regardent la vidéo en direct, et qui peuvent poster des commentaires. "On répond à tout", promet par exemple une élève de 3e, dans un Periscope tourné dans un collège de Saône-et-Loire. "On veut des questions en masse", insiste-t-elle, comme pour mieux encourager les spectateurs à poster des commentaires.
Rapidement, la drague ou les remarques sexuelles arrivent. "Montre tes seins !", écrit un commentateur. "Ben non", rétorque-t-elle aussitôt en direct. "Vous donnez ? [vous flirtez ?]", demande un autre. "Ben ça dépend, t’as quel âge ? Tu t’appelles comment ? T’es beau ? T’es moche ? T’as des tablettes [de chocolat] ?", répond-elle en rigolant, sans que cela aille plus loin. De jeunes garçons qui demandent aux adolescentes de montrer leur poitrine en salle de classe, il y en a beaucoup sur Periscope. La plupart sont sèchement éconduits par les "Periscopeuses", quand celles-ci ne les bloquent pas purement et simplement.
D'autres jeunes prĂ©fèrent les challenges, et invitent les internautes Ă leur lancer des dĂ©fis. "Crie Allah akbar", "crie mort aux arabes", "dis nique les juifs", "jette un stylo par la fenĂŞtre", "lèche la vitre", "cachez-vous tous sous la table"… Autant de dĂ©fis qu'un Ă©lève de 5e et ses quelques camarades ont acceptĂ© de relever en plein cours de mathĂ©matiques, dans un collège de Belfort. Au tableau, le professeur tente de corriger des exercices mais semble avoir Ă©chouĂ©Â Ă maintenir un semblant de discipline dans sa classe.Â
Le jeune garçon n'accepte pas tous les défis que les internautes lui envoient. Ainsi, lorsque l'un d'eux lui demande à plusieurs reprises de se lever pour faire un bisou à une fille, l'élève décline : "Ah non, non (...) Vas-y, je vais pas embrasser des gens !"
Torse nu en plein cours, un testicule à l'air libre
D'autres jeunes n'attendent pas qu'on leur propose des défis : ils les fixent eux-mêmes. Se mettre torse nu en plein cours à partir de 10 ou 20 personnes connectées fait partie des challenges habituels. Un défi que cet élève de Moselle a bien voulu relever au fond de sa classe. Pas question, en revanche, de baisser son pantalon : "Faut pas abuser !"
Mais à 30 personnes connectées, le même élève a quand même coupé un peu de ses cheveux, après une pluie de critiques des internautes sur sa mèche.
D'autres vont encore plus loin. Après s'être mis torse nu devant dix personnes connectées, cet élève d'un collège d'Aquitaine se lève, et sort carrément un testicule de son short, une fois atteint le cap des 50 personnes connectées.
"A 70 [connectés], je jette le clavier sur la prof"
Pour attirer le chaland, certains n'hĂ©sitent pas Ă faire des promesses de plus en plus violentes. A 70 personnes connectĂ©es, l'un d'eux promet de "jeter le clavier sur la prof". A 100 connexions, "j'embrouille le prof", assure un autre. Â
Cet adolescent qui promet d'"embrouiller le prof" à 100 connexions, francetv info l'a contacté via Twitter. Il vit dans l'Essonne. Il assure qu'en réalité, il n'aurait pas osé s'en prendre à son enseignant. "Mais ça aurait dégénéré", dit-il sans plus de détails. "Periscope, c'est juste pour délirer en classe quand on s'ennuie. On se lève, on crie ou on discute avec ceux qui regardent. Ça dépend... Mais on le fait pour s'amuser, et pas pour montrer de la violence ou ce genre de choses", assure-t-il.
Tourner des vidĂ©os en direct sur Periscope, un autre lycĂ©en, scolarisĂ© en classe de 1re dans le Val-d'Oise, assure lui aussi ne le faire que pour se distraire dans des "cours inutiles" : "Théâtre, santĂ© prĂ©vention... Des cours de ce style." Â
Rien à signaler du côté du ministère
A regarder ces Periscope, le dĂ©rapage semble bien souvent tout proche. En Suisse, des enseignants filmĂ©s Ă leur insu ont rĂ©cemment portĂ© plainte, rapporte la Tribune de Genève. Une mise en garde a Ă©tĂ© communiquĂ©e Ă l'intention des enseignants.Â
En France en revanche, le ministère de l'Education nationale, interrogé par francetv info, n'a pour l'heure recensé aucun signalement lié à l'utilisation de Periscope en salle de cours. Aucune académie n'aurait non plus enregistré de plainte de la part du personnel éducatif après un Periscope ayant dégénéré. "Cela ne signifie pas qu'il n'y en a pas, nuance-t-on à l'académie de Nantes. Mais s'il y a eu un problème à cause de l'utilisation de cette application, cela peut s'arrêter aux portes de l'établissement, et ne pas aller plus loin."
Car principaux et proviseurs ne font remonter à leur rectorat que des faits graves et urgents. "Les chefs d'établissement gèrent beaucoup de choses en interne, sans que cela nécessite de signalement au rectorat", confirme-t-on à  l'académie de Lyon, précisant simplement qu'une "vigilance" existe bel et bien autour de Periscope.
On parle de plus en plus de cette application et on suit ça de près, on est vigilant.
"Il ne faut pas monter sur ses grands chevaux"
Professeur d'histoire-géo dans un collège de la Loire, Emmanuel Grange, lui, a déjà eu affaire à un élève de troisième tournant un Periscope, lors d'une sortie scolaire. Ce blogueur, qui a déjà parlé de Periscope dans ce post, raconte à francetv info qu'il a demandé à l'adolescent d'arrêter immédiatement, et qu'il en a discuté après avec son élève.
Il n'a encore jamais surpris un élève en train de "Periscoper" en cours, mais si cela arrivait, "[il] réglerai[t] ça en classe". "Je prendrais le téléphone, et j'arrêterais le Periscope. J'en parlerais avec l'élève à la fin du cours. Et si je m'apercevais que cela fait un moment qu'il fait n'importe quoi, je pense qu'il faudrait rassembler les parents et la direction pédagogique", détaille-t-il. Selon lui, "il ne faut pas monter sur ses grands chevaux".
La phase de dialogue est primordiale. Tout dépend de ce que l'élève a fait. Il faut une riposte graduée.
Un discours mesuré, même si tourner un Periscope en plein cours est toujours "grave" : "Il y a la question du respect du professeur, du droit à l'image des camarades, de l'enseignant, et du non-respect des règles car les élèves n'ont pas le droit d'utiliser de téléphones portables en classe sauf cas exceptionnels."
"La plupart des profs ne connaissent pas Periscope"
En attendant, les Periscope tournés en plein cours continuent de fleurir sur l'application et la tendance ne risque pas de s'inverser, estime Emmanuel Grange : "Les élèves bravent un interdit, et à l'adolescence ils cherchent toujours à repousser les limites."
Pour eux, le smartphone est un outil du quotidien. C'est dans leur poche, leur sac. C'est la génération selfie.
Et si les vidéos tournées discrètement depuis une trousse au dernier rang ont encore de beaux jours devant elles, c'est aussi parce les enseignants ne sont pas toujours suffisamment informés, regrette Emmanuel Grange : "Les élèves filment en toute impunité parce qu'ils se disent que le prof ne connaît rien à Internet !" Une intuition confirmée par un collégien, interrogé par francetv info, qui tourne régulièrement des Periscope depuis la rentrée de septembre : "On ne se fait jamais prendre ! Le prof nous voit avec le téléphone et nous demande juste de le ranger : la plupart ne connaissent pas Periscope !"
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